samedi 21 juillet 2012

Dessous des cartes : cette aimable Belgique qui cache si bien son jeu historique d'affaiblissement de la France

Publié le 21 juillet 2012

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012).
Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.
Il existe deux façons de comprendre la Belgique.
La façon officielle d’abord. Celle qui prévaut chaque 21 juillet, où des avatars de Stéphane Bern racontent comment, depuis 180 ans, une famille ducale allemande (les Saxe-Cobourg Gotha) a porté à son front la couronne de Belgique, à l’issue d’une révolution démocratique, et a guidé le bon peuple belge vers la prospérité. Ceux-là ajoutent que, grâce à sa position centrale et sa neutralité constitutionnelle, la Belgique s’est naturellement imposée comme le centre de l’Europe, et Bruxelles comme sa capitale consensuelle.
Dans cette légende, le premier roi des Belges, Léopold Ier, occupe le beau rôle. Et ses descendants aussi.
Mais il existe une version moins racontable, quoiqu’un peu plus objective, de l’histoire de Belgique.
Cette histoire commence avec l’avancée des troupes romaines durant l’Antiquité. Celles-ci, dans leur progression vers le nord de l’Europe, s’arrêtent au Rhin. Les légions de César butent sur le fleuve et n’arrivent pas à le franchir durablement.
En l’an 9, Auguste, qui n’imagine pas d’empire qui ne soit de taille européenne, décide d’ingurgiter le monde germanique dans son espace politique. Il envoie trois légions, avec le général Varus, pour mater les peuples de la forêt. La bataille de Teutoburg, où les Germains se sont rassemblés sous l’autorité d’Arminius, s’achève par une immense déroute romaine.
Commence alors une période de dix-huit siècles où le Rhin délimite monde latin et monde germanique. Et où les territoires de l’actuelle Belgique hésitent en permanence entre domination franco-latine et influence germanique. Statistiquement, la Wallonie, francophone, est sous influence allemande. Et la Flandre sous influence française jusqu’en 1600.
En 1815, après le douloureux épisode bonapartiste, le Congrès de Vienne décide de créer un glacis au nord de la France pour protéger l’espace germanique contre toute espérance d’invasion. Ce glacis s’appelle le Royaume-Uni des Pays-Bas. Il regroupe ce qui devint en 1944 le Benelux.
En 1830, les territoires francophones du Royaume-Uni portent le fer contre la domination hollandaise, et la Belgique naît. Le Congrès démocratiquement élu propose le trône au fils de Louis-Philippe, Louis d’Orléans, duc de Nemours. C’était une façon commode pour les Belges de demander leur rattachement à la France, ou, en tout cas, d’entériner leur retour dans la zone d’influence française.
Mais l’Europe a basculé sous domination germanique. Son centre de gravité n’est plus à Paris, mais à l’est du Rhin, entre Vienne et Berlin. La famille d’Orléans refuse d’affronter cet ordre établi et décline la proposition du Congrès belge. Celui-ci est contraint de solliciter un petit prince allemand, Léopold de Saxe-Cobourg, beau-frère du tsar, qui vient de refuser la couronne de Grèce.
L’indépendance de la Belgique ne peut s’entendre que dans une Europe à domination germanique.
Les thuriféraires de la famille royale belge oublient régulièrement d’en rappeler la francophobie naturelle et même institutionnelle. Sait-on par exemple, en France, qu’en septembre 1939, lorsque l’Allemagne envahit la Pologne, le roi Léopold III déploie immédiatement ses troupes le long... de la frontière française? Pour éviter un mouvement militaire français hostile à l’Allemagne.

*
La Belgique célèbre en ce 21 juillet sa fête nationale, alors que le pays traverse une période politique complexe sur fond de question unitaire. Voici un petit retour historique sur notre voisin qui ne s'est pas toujours comporté comme un ami...

La frite masquée

Si la famille royale belge avait accepté une intervention franco-anglaise préventive sur son sol, dès 1939, les troupes allemandes n’auraient pas réussi leur percée de Sedan, et la face de la guerre en eut été changée.
Cette histoire-là est inconvenante. On ne la raconte pas dans les manuels scolaires.
Ce qui nous embarrasse aujourd’hui, c’est que le petit marché commun étriqué qu’on nous présente abusivement comme la réalisation la plus aboutie d’un projet européen démocratique, s’inscrit parfaitement dans cette conception d’une Europe dont le centre de gravité se situe à l’est du Rhin.
Le choix de Bruxelles comme capitale européenne, par exemple, ne tient pas qu’au hasard de la géographie. N’oublions jamais qu’en 1516, Charles Quint y fut sacré roi d’Espagne, et qu’il y abdiqua de son titre d’empereur en 1555. En réalité, le rayonnement européen de Bruxelles a toujours été lié à la constitution d’un projet impérial en Europe sous domination germanique, en opposition à la domination française.
Et comment ne pas voir que la construction communautaire qu’on imagine vierge de tout héritage historique n’a pas, au moins inconsciemment, endossé cette conception de l’ordre européen en choisissant de prendre ses quartiers officiels dans l’ancienne capitale de Charles Quint?
L’Europe d’aujourd’hui est fondamentalement germano-centrée, et fondée sur une représentation de la France faible, amputée et mise sous contrôle permanent de ses voisins. Que la France essaie de construire une Union méditerranéenne pour vivre son destin séculaire de puissance maritime et l’Allemagne la bloque. Que la France essaie de négocier une politique monétaire accommodante... Et l’Allemagne la bloque. Que la France essaie de promouvoir une défense européenne indépendante des Etats-Unis, et la Grande-Bretagne la bloque.
Le vrai sujet que les Français doivent poser sur leur table le 21 juillet, c’est celui du bénéfice historique ultime que nous retirons d’un ordre européen où nous jouons par nature les seconds rôles. D’un ordre européen construit à Bruxelles, articulé à des logiques de marchés financiers où la City domine, à des logiques de compétitivité industrielle où l’Allemagne domine. Tout cela sous le gentil habillage belge avec son humour absurde et sa générosité qui sent la bière et les frites grasses.
Mais si nous osions une autre Europe, affranchie des complexes de 1815 ? Une Europe dont l’objectif ne se limite pas à assurer la prospérité des financiers londoniens et des industriels allemands?


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  • Par Kakou - 21/07/2012 - 13:33 - Signaler un abus Amis d'mes fesses..! pas de vrais amis .........Alors ne cherchez d'amis que dans un miroir..

  • Par amike - 21/07/2012 - 13:06 - Signaler un abus @Picard: Je vous mets au défi ! Defi de refaire votre commentaire, en ajoutant 2 mots : Flamand et Congo...

  • Par PICARD Liège - 21/07/2012 - 12:35 - Signaler un abus Article franco-français Voici l'exemple même d'un article franco-français où ce qui est extérieur à la France est hostile et où la France est présentée sous un jour de paradis historique...
    Oublions Napoléon (comme Hitler sans l'holocauste) ou la barbarie des généraux français de la première guerre mondiale.
    La Belgique est ce qu'elle est. Heureusement elle a été peu influencée par le modèle français...
    Aujourd'hui, la Belgique et la Wallonie sont vraiment des contraires dans beaucoup de domaine. La proximité existe surtout par l'usage d'une langue commune...

  • Par totor101 - 21/07/2012 - 11:37 - Signaler un abus Mr de Turenne Il y a une vingtaine d'années je discutais histoire avec un Allemand...
    Il m'a rappelé les exactions de mr de Turenne (ce grand homme) dans le palatinat...
    1) la mémoire collective (peut être soutenue par des factions politiques) s'en souvient et cela a longtemps généré une haine de la France.
    2) comment se fait il que toi, lorrain, ne connaisse pas les dépradations commises par les LOUIS 13 ET 14 dans ta région
    ...........
    Réponse : l'histoire de France est édulcorée ... à l'école on nous a dit la Lorraine a TOUJOURS été française (le toujours commence en 1767)
    preuve ? on parle français en Lorraine (il y avait 183 dialectes locaux en 1880, époque de Jules Ferry, mais les gens se comprenaient)

  • Par Audrey33 - 21/07/2012 - 11:37 - Signaler un abus à @Rosine "Je suis certaine d'avoir lu dans un dossier de l'Express edition belge, en avril ou mai dernier, un dossier sur l'Histoire des Mauvais Moments de la Belgique, plein d'auto-ironie, et qui me semble avoir été pompé par ce monsieur."
    On attend vos sources et des exemples...

  • Par Albator - 21/07/2012 - 11:32 - Signaler un abus . Excellent article

  • Par Audrey33 - 21/07/2012 - 10:34 - Signaler un abus réponse à Pascuald et les études pour moi ne sont pas un gage d'intelligence vous avez raison....bon nombre d'autodidactes ayant du sens critique et de l'audace ont une valeur ajoutée.

  • Par Audrey33 - 21/07/2012 - 10:31 - Signaler un abus réponse à Pascuald Vous dites: "Insulter tout un peuple avec des formules de ce genre constitue non pas une faute professionnelle mais une faute d'homme, et qui discrédite totalement l'article, la personne et le site qui publie.
    Visiblement, les études ne conduisent pas toujours à l'intelligence."
    Je pense et je parle pour ma paroisse de fille du Nord, que l'auteur a voulu relever les caricatures que l'on veut bien donner à la Belgique. Et qui servent effectivement à cacher une réalité plus dérangeante.
    Moi par exemple je n'ai jamais été voir le film les chtis. Je ne me retrouve pas du tout dedans . Certes c'est une comédie mais bon construction d'une région pleine de clichés.
    Qui a dit que les gens du nord sont tous sympas, accueillants et honnêtes à en être benêts. Pas moi et pas non plus certaines administrations qui soulèvent des escroqueries aux prestations familiales et de la délinquance en hausse. Sans compter les trafics en tout genre. Et il y a du racisme aussi, ne le cachons pas.
    Cela est valable pour beaucoup de pays.....comme les USA.
    On plaque en avant des symboles d'hyper puissance, mais la réalité est bien différente.

  • Par pascuald - 21/07/2012 - 09:43 - Signaler un abus Les études ne conduisent pas toujours à l'intelligence Un article intéressant, même si l'on a le droit de penser différemment sans se sentir idiot.
    Mais que dire de la formule "…gentil habillage belge avec son humour absurde et sa générosité qui sent la bière et les frites grasses".
    Insulter tout un peuple avec des formules de ce genre constitue non pas une faute professionnelle mais une faute d'homme, et qui discrédite totalement l'article, la personne et le site qui publie.
    Visiblement, les études ne conduisent pas toujours à l'intelligence.

  • Par Rosine - 21/07/2012 - 08:59 - Signaler un abus 1815 quel complexe? il faut tout de même dire que la dévastation du Palatinat par Louis XIV et les incursions continues de la France vers la Germanie ont laissé un tel ressentiment que le mot Napoléon avait encore une résonance au fond des campagnes vers 1930: la France était toujours l'aggresseur. Et si la Sarre nous a échappé c'est que les Sarrois au fond ne nous aimaient pas. A juste titre. On nous rend la monnaie de notre pièce. Et je trouve étrange que vous ne parliez pas des Monnet et Schuman qui, dans votre optique, seraient donc des traîtres.Alors, cher énarque, moi qui n'étais que prof de lettres, niveau IPES, je vous dis de prendre un peu de recul.

  • Par Rosine - 21/07/2012 - 08:53 - Signaler un abus pillage? Je suis certaine d'avoir lu dans un dossier de l'Express edition belge, en avril ou mai dernier, un dossier sur l'Histoire des Mauvais Moments de la Belgique, plein d'auto-ironie, et qui me semble avoir été pompé par ce monsieur.

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